Exit le train-train quotidien, les vernissages qui n’en finissent plus à la galerie et les après-midi à avancer dans ton travail. Désormais chacun de tes temps libre était occupé par lui et, quand bien même les dits temps étaient habités, il arrivait toujours à se frayer une place. Il se manifestait généralement par un coup de fil au mauvais endroit, au mauvais moment, une erreur, un changement de programme. Il pouvait tout aussi bien être source de joie intense que cauchemar abominable (et le terme est pesé) ; il n’était autre que ton mariage à venir. En ce début d’après-midi automnale les préparatifs de ce denier s’annonçaient d’humeur massacrante, pour la simple et bonne raison qu’ils dépendaient du bon vouloir, mais aussi et surtout de l’humeur, de Cora. Parfaitement conscient d’avoir fauté tu n’étais pas en mesure de la décevoir, et plus généralement de la contredire. Tu savais qu’à la moindre pique, au moindre mot plus haut que l’autre ou à la plus fine once de cynisme de ta part, c’était terminé ; elle serait en droit de revenir le sujet, en position de force et elle pourrait te cracher son venin au visage. Comme elle avait le don de le faire dans ses moments de colère. Arrivé devant le fleuriste qu’elle a choisie tu te refuses à fumer une cigarette, elle serait capable de prendre ce « geste » comme prétexte pour déverser la rage qu’elle contient depuis plusieurs jours ; tu te contentes donc simplement de lui tenir la porte d’entrée, un sourire satisfait collé au visage. Histoire d’en rajouter une couche. Tu avais déjà une idée de ce que tu voulais ? Les bras croisés, tu arpentes l’entrée de la boutique dans ton costume parfaitement ajusté. Ton attention se repose sur Cora et dans un sourire tu renchéris : Souris un peu plus, on dirait que je t’ai forcé à venir Cora. La phrase de trop, sûrement, peut-être.

Bran & Cora

Les journées devenaient compliquées. Remplies surtout. Tu te retrouvais débordée. Mais tu aimais ça. Franchement, ouais, ton travail et les préparatifs de mariage, ça ne te dérangeait pas. De toute façon, tu avais besoin de faire quelque chose, de bouger, d'être active. Le fleuriste, c’était pour aujourd’hui. Choisir les fleurs du mariage. Une préparation qui te plaisait vraiment. Malheureusement, il avait fallu que ton envie soit gâchée par ce qu’avait fait Bran. Embrasser une autre femme. Depuis qu’il te l’avait avoué lors d’une dispute, évidemment, tu y pensais. Encore et encore. Pourtant, tu t’efforçais de ne pas le montrer. De ne pas montrer ta tristesse, ta colère et tous les autres sentiments que tu pouvais ressentir. Cette journée ne devait pas être gâchée. Mais il t’énervait, Bran. A sourire comme ça. Comme si de rien n’était, malgré que ce soit ce que tu voulais faire. Il t’agaçait. Lorsqu’il te demandait si tu avais une idée, tu lui montrais simplement du regard le carnet que tu tenais sous ton bras gauche. Des dessins et des notes s’y trouvaient. Malheureusement pour Bran, alors qu’ils s’avançaient tous les deux un peu plus, il te fit une reproche, le sourire toujours aux lèvres. Tu n'avais en fait attendu que ça, qu'une parole de sa part qu'il n'aurait jamais dû prononcer. « Tu te fous de moi ? J'espère que tu plaisantes, Bran. T'avais qu'à y réfléchir avant de l'embrasser. » Pas besoin de la nommer, il savait très bien de qui elle parlait. Ton ton se faisait extrêmement violent et agressif mais ta voix était basse. Tu ne voulais pas que le fleuriste et les autres personnes présents entendent toute cette histoire. Parce qu'il y avait de quoi être honteuse pour toi. « Tu mérites bien moins que ce je te peux t'offrir là. Alors ne t'avises pas de me redire ça une seule fois. Et ne me dis pas ce que je dois faire ! » Ton regard était sans doute le pire. Noir, totalement noir envers ton fiancé. Il n'en avait certainement pas fini avec cette histoire, loin de là.

Tu es le fautif, celui qui a tort. Tu le conçois, tu l’entends, tu l’admets mais tu ne peux t’empêcher de minimiser la situation. Pour le coup tu te montres égocentrique, laissant primer ton envie de réconciliation sur les sentiments refoulés de Cora. Elle est parfaitement dans son droit et, si la situation avait été inversée, tu n’aurais pas pris la chose de la façon dont elle la prenait. Hors de toi, tu l’aurais été sans aucune hésitation possible. Cora, je te le répète : c’était une erreur. Tes justifications sont veines, tu en es conscient, rien ne pourra justifier un acte de la sorte. Mais c’est plus fort que toi. J’avais bu et je me suis laissé aller. Les images de la dite soirée défilent devant tes yeux et te laissent un goût amer en bouche. Aujourd’hui encore tu es incapable de déterminer ce qui t’a poussé à rendre ce baiser que Clare t’a offert ; tu le regrettes c’est évident mais tu ne peux t’empêcher de te questionner et de douter parfois. Passant une main sur ton visage tu chasses toutes ces idées et pensées de ton esprit, reportant ton attention sur Cora. Son regard te transperce de toute part, ses yeux brillent d’une étrange noirceur. Elle se contient encore, ce qui s’annonce mauvais pour ton cas. Tu voudrais lui dire de te balancer au visage tout ce qu’elle a sur le cœur mais ce serait bien pire ; la dispute vrillerait de tous les cotés. On venait de se disputer et tout s’est enchainé. Tu sais très bien que t’es la seule qui compte. Je la connais depuis toujours, il ne s’est jamais rien passé entre nous et ça ne risque pas de changer. Comme tu peux tu essayes de la rassurer.

Ta mâchoire est serrée, crispée. Tu te retiens de ne pas lui crier dessus. De ne pas lui envoyer tout ce que tu as sur le cœur. De ne pas lui lancer tout ce qui peut se trouver autour de toi. Tu es dans une boutique, tu ne peux pas. « Et c’est bien la plus grosse erreur que tu ais pu me faire. » Et il s’en souviendra de cette erreur. Longtemps. « Donc tu as bu, alors je devrais t’excuser, c’est ça ? L’alcool n’est pas celui qui a fauté. C’est toi, et seulement toi, tu dois te rentrer ça dans la tête. Tout ce que tu as voulu faire, c'est me tester. Me provoquer. » Tu le pointes du doigt tout en parlant. Aussi, tu n’es pas le genre de femme qui pardonne facilement, tu ne pardonnes même parfois jamais et il doit pertinemment le savoir. « Il ne s’est jamais rien passé, excepté ce baiser... Tu me dis que je suis la seule qui compte pour toi mais tu l'as embrassée. » Et il est allé bien trop loin. Il t’a tellement déçue. Anéantie aussi. Tu lui avais donné ta totale confiance, mais il l’a brisé. Il a voulu ça. Il a voulu ta colère. « Tu n'as ni respect pour moi, ni pour toi-même. » Première phrase que tu prononces avec calme, pourtant tu bouillonnes tel un volcan à l'intérieur. Désormais, tu dévies ton regard auparavant posé sur celui de Bran pour le poser sur celui du fleuriste qui s'avance vers vous. Et tu lui souris, tout simplement. « Bonjour ! Je suis Cora, et voilà Bran. Je vous avais déjà téléphoné, nous sommes là pour notre mariage. » Ta voix est si différente de celle que tu adoptais quelques secondes avant, bien plus aimable. Normal. Et tu ne fais même plus attention à Bran.

Silencieux tu encaisses, tu la laisses déverser sa colère. Certains de ses mots ne t’atteignent plus tant elle te fascine ; elle reste calme malgré les atrocités qui découlent d’entre ses lèvres, elle arrive encore à se contrôler tandis que de ton coté tu peines à te contenir. Ce n’est pas en tes habitudes d’encaisser de la sorte, en temps normal lors de vos disputes tu la contredis, tu fais face et la blesse à ton tour. Etrangement tu ne réagis pas, à son image tu tentes de te contenir. Mauvaise idée. Tu n’as jamais réussi et les retombés n’en sont que plus désastreuses. Tu n'as ni respect pour moi, ni pour toi-même. Sa dernière remarque à ton égard t’achève, comme un pic en plein cœur. Cora ne mâche jamais ces mots mais c’est bien la première qu’elle se montre aussi dur. Et si sa réaction est on ne peut plus compréhensive tu es dans l’incapacité de l’admettre, tu ne peux que surenchérir. Peut-être que si tu avais fait des efforts avec elle je n’aurai jamais eu besoin de revoir Clare murmures tu, un sourire aux lèvres à l’attention du fleuriste. Lysa, Clare, les sujets qui fâchent. A ton tour tu arbores ton attitude de circonstances, histoire de ne pas mettre mal à l’aise l’ensemble des personnes présentes dans la boutique. Pourtant c’est plus fort que toi, tu ne peux t’empêcher de gâcher ce moment, ses efforts, par une énième réflexion. Je vous laisse voir avec elle, je ne voudrais pas la provoquer.

Il n'est pas mal non plus dans ses paroles. Son murmure te frappe en pleine figure. Qui dit Clare, dit alors Lysa. Il exagère vraiment à dire ça. Mais d'abord, tu t'adresses au fleuriste, qui n'a lui, rien demandé. Tu ne peux pas ne rien riposter aux paroles de Bran. C'est juste impossible. Tu ne peux pas parler de fleurs sans dire quelque chose. « Excusez-nous, on doit d'abord se mettre au point sur ce que l'on veut vraiment. » Tu insistes sur le pronom qui inclue Bran dedans. Il doit l'aider à choisir, prendre des risques, dire vraiment ce qu'il souhaite. Mais pour l'instant, c'est bien mal parti pour que la séance se passe sans la moindre encombre. Puis, le fleuriste a sans doute bien compris ce qu'il en est vraiment, mais tu t'en fiches sur le moment. Tu passes ta main dans le dos de Bran, le poussant quelque peu pour vous éloigner. Finalement, tu t'arrêtes, ton air toujours aussi sérieux. Trop. « Alors comme ça, c'est de ma faute ? Ton erreur serait de ma faute, je l'aurai engendrée, c'est bien ça ? » Tu veux qu'il te réponde. Qu'il répète ce qu'il a dit. « Et n'essaie pas de m'avoir avec la mort de Lysa. Elle n'a rien à voir dans cette histoire. » Un peu quand même. Beaucoup, en fait. Elle est en est la source sans doute. Mais peut-être que sans son décès, le même événement se serait passé, tu n'en sais rien. La mort de Lysa, si tu l'as prononcée, c'est pourtant Bran qui l'a ramenée le sujet au galop, pas toi, tu l'as juste explicitée.

Ta remarque a eu l’effet escompté ; une réaction de sa part – posant une main dans ton dos, elle t’attire un peu plus loin, à l’abri du fleuriste légèrement perturbé par ton attitude. Ton regard scrute le sien un bref instant, à la recherche d’une quelconque réponse, d’une solution, des mots à dire pour mettre fin à cette énième dispute. Tu n’en peux plus de te prendre la tête avec elle, et plus le temps passe, plus le courage d’affronter son regard et ses remarques te quittent ; tu deviens lâche, couard ou peut-être tout simplement je m’en foutiste. Et tu préfères fuir. D’une certaine manière c’est ce qui pourrait expliquer ton « débordement » avec Clare, mais tu ne sembles pas totalement convaincu. Oui. Ta réponse est concise, voir même tranchante, tu n’es plus d’humeur à peser tes mots ni même à la ménager. Il a suffit qu’elle prononce son nom pour dépasser la limite que tu lui imposes ; elle le sait, tout le monde le sait qu’il est un sujet que tu ne veux aborder en aucun cas. Un sujet que tu peux sous-entendre, que seul toi peux sous-entendre néanmoins Cora semblait l’avoir oublié. Alors tu prends sur toi, comme tu le peux. C’est exactement ce que je veux dire Cora, tu penses vraiment que ce qui est arrivé était prévu pour te tester ? Te provoquer ? Tu penses sincèrement qu’on se serait seulement embrassé si j’avais voulu te mettre hors de toi ? Tu passes une main sur ton visage et replonge ton regard dans le sien. Elle a tout à voir, tu le sais aussi bien que moi. Maintenant le sujet est clos. rajoutes-tu fermement ne voulant pas davantage t’étendre sur le sujet. Tu attrapes ensuite sa main dans la tienne afin de rejoindre le fleuriste.

Il te répond oui, il acquiesce ses paroles précédentes. Comme ça. Il veut vraiment te mettre à bout. Mais tu l'es déjà. Un simple baiser te met déjà en mille morceaux. Pourtant, pour toi, ce n'est pas qu'un simple baiser. C'est trop. C'est la goutte de trop. T'en as marre, tu veux que ça s'arrête. Parce que cette colère, ce n'est que pour cacher ta tristesse. Ton effondrement. Il t'avoue ne pas l'avoir fait pour te provoquer. Et t'aurais peut-être préféré que ce soit le cas finalement. Non. T'aurais plutôt préféré que ce baiser n'arrive jamais. Mais ça te remet en question quelque peu. Puis finalement, tu le laisses te prendre ta main dans la sienne. Néanmois, tu lui rajoutes quelques mots, peut-être aussi parce que tu veux avoir le dernier mot. « Donc tu l'as fait parce que tu en avais envie, Bran... » Il a gagné sans doute. Tu n'es plus furieuse, mais attristée. Et il pourra sans doute le ressentir dans cette dernière phrase, tu n'arrives plus à le cacher, et tu ne cherches d'ailleurs pas à le faire. Désormais, un maigre sourire s'affiche sur ton visage, à l'intention du fleuriste qui revient vers vous. « Alors voilà ce à quoi j'avais pensé. » Tu lui donnais dès-à-présent ton carnet, préparé avec soin, avec envie même. Tu tenais à ce mariage. Tu voulais que ce soit parfait, c'est normal, non ? « J'avais principalement pensé à des pivoines. » Ce n'était guère original, mais tant pis, ces fleurs étaient les préférées de ta mère de ce que t'avait dit une fois ton paternel, tu voulais donc lui faire ce petit clin d’œil, qui lui aurait sans doute fait plaisir, tu l'espères en tout cas. Et puis, cette idée-là rendait les fleurs plus belles qu'elles ne l'étaient déjà.