But now I'm walking by myself, Out in the middle of nowhere

Son rire envahit l’appartement ; il ricoche sur les cadres, les babioles et les objets saugrenus qui le décorent. Il vient s’enfoncer dans le fauteuil baroque, dernière folie en date de ta mère, qui l’avale pour te le recracher au visage. Lysa peuple les endroits qu’elle fréquente, elle se les approprie et les enivre tout entier de sa présence. Quittant l’entrée, tu rejoins la chambre de ta jumelle. C’est plus fort que toi, que vous. Il t’est difficile de rester loin d’elle et inversement, pour certains votre relation est malsaine. Beaucoup considère que tu ne devrais pas passer autant de temps avec ta sœur ; tu comprends, tu entends, mais tu n’acceptes pas. Ils ne sont pas jumeaux, ils ne peuvent pas saisir l’intensité du lien qui vous unit. Avec elle tout est multiplié, l’amour, la haine, les rires, les cris, les bons, comme les mauvais moments. Elle te comprend en un regard et tu es capable de cerner chacune des émotions qui traversent son visage en un instant. Arrivée devant sa chambre, tu viens te caler contre l’embrassure de la porte, sans étonnement tu aperçois Clare. Clare et ses cheveux bien trop blonds, Clare et ses yeux bien trop bleus. Clare qui rougit et baisse les yeux quand ton regard se fait trop insistant. Mais tu es encore un gamin, tu ne saisie pas, tu dis qu’elle est sans doute un peu trop timide. Et avec le temps tu t’es conforté dans cette idée, pourtant tu lui plais, c’est évident. Lysa le sait elle, mais par respect pour sa meilleure amie elle ne t’en parle pas. Pourtant les remarques fusent, les sous-entendus ne sont pas discret, mais rien n’y fait. T’es pas censé être en cours ? Lysa te toise, le sourire aux lèvres, tandis que Clare s’affaire à la coiffer. Toi non plus ? Elle agite frénétiquement sa tête de gauche à droite. Des trucs à faire. Un regard de ta part, elle sourit. Donne-toi à fond. T’en fais pas pour ça. Tu fais la moue. Je vais me passer des détails Lysa. De son coté Clare sourit, elle a l’habitude de vos conversations : pas de mots, des regards. Avec Lysa c’est suffisant.
Cette fille se fout de ta gueule. Plongé dans tes dossiers, tu ne prends pas la tête de relever la tête, pourtant tu devrais le savoir. Ignorer Lysa n’est pas une solution, cela ne fera qu’alimenter son débit de parole. Et emplir d’animosité les mots qu’elle pourrait employer, pourtant tu prends le risque. Elle te manipule et toi tu l’as laisse faire. Parfois t’es vraiment con. Tu l’ignores de nouveau. Et puis je suis sûr que ce n’est même pas une vraie blonde. Et elle doit faire des UVs souvent. Un teint naturellement halé ça n’existe pas. J’hésite à promouvoir la jeune artiste libanaise qui s’est présenté la semaine dernière, son univers est intéressant et je pense qu’elle serait susceptible de… Tu n’as pas le temps de continuer, la main de Lysa vient déjà de s’abattre sur ton crâne. Avec le temps tu t’es habitué à ses sautes d’humeurs et en particulier à la violence de ses gestes. Ce n’est pas méchant, tu le sais, Lysa est tactile par nature tout simplement. Elle a besoin d’extérioriser ses sentiments ; heureuse elle te câlinera et à contrario, énervée elle te giflera sans ménagement. Fais gaffe en réagissant comme ça tu me pousses dans ses bras. Essaye pour voir.
Le théâtre est bondé de monde et dans les coulisses l’effervescence est maîtresse : on s’agite, on court de tous les cotés et un prénom glisse entre toutes les lèvres. Elsie. Ce soir c’est elle qui fait la fierté de la famille, exit ton travail titanesque à la galerie, exit les tableaux de Lysa. En une soirée, ta cadette s’est mise en poche le tout New-York, vous occultant au second rang. La soirée est une réussite mémorable, comme tu l’avais prédit. Chose relativement facile lorsque l’on sait qu’elle est le « talent » de la famille. Bien plus doué que Lysa, beaucoup plus persévérante que toi, c’est avec une facilité déconcertante qu’elle a développé son don pour la musique. Debout devant la porte de sa loge tu l’attends patiemment, lorgnant Lysa qui semble occuper avec un journaliste. Félicitations princesse. Tu as été incroyable Sissi, j’étais sûr que ce serait grandiose ! Pourquoi tu mens ? D’où je mens ? T’avais peur que « le public ne soit pas réceptif ». J’ai jamais dit ça. Tant bien que mal Elsie tente de placer un mot, mais très vite la blonde se rétracte, sachant pertinemment qu’avec vous c’est peine perdue. C’est ça, menteuse va. Et je suis sûr que tu sais pas ce que veux dire réceptif. Mais arrête, je la soutiens toujours plus que toi. Depuis sa naissance, Elsie est sujet aux disputes entre Lysa et toi. Qui la gâtera le plus, pour qui ira sa préférence, qui la surveillera le mieux. Elsie est votre petit trésor, malheureusement pour elle.
Une soirée. Une semaine sans nouvelles. Un autre rendez-vous. Une semaine avec elle. Un mois, deux, trois, quatre. Et une année entière. Central Park sous la neige. Un premier week-end aux Hamptons. Un deuxième. Et une autre année. Tu n’as pas vu le temps passé, il a défilé entre tes doigts comme une poignée de sable, insaisissable, irrécupérable. Pour certains tout est allé trop vite entre vous, tu n’aurais jamais du t’attacher à elle de la sorte, tu aurais du apprendre à la connaître davantage, tu aurais du faire ceci et lui dire cela. Mais comme à ton habitude tu n’en a fais qu’à ta tête et à l’étonnement général tu lui as demandé sa main ; un soir, quelque part. C’était romantique, c’était elle et toi, après tout les autres ça ne les regarde pas. Cora est différente des autres filles que tu as pu côtoyer, elle est tout et rien à la fois. Le feu et la glace. L’amour et la haine. Tu l’aimes autant que tu la détestes, et elle a le don de te faire tourner la tête. C’était le dernier. Fermant la porte d’un faible coup de pied, tu déposes le dernier carton sur la pile qui s’amoncelle à l’entrée. Si le déménagement t’a épuisé, tu trouves encore la force de rejoindre Cora dans la cuisine, dans l’unique but de l’énerver. Ton attitude est gamine, puérile, idiote, mais c’est plus fort que toi. D’une certaine manière c’est une façon comme une autre de lui dire je t’aime ; pourtant tu en es capable, à ses cotés tu peux instantanément devenir celui qu’elle attend, celui dont elle a besoin et ce, uniquement pour ses beaux yeux. Mais te disputer avec elle c’est une habitude, un mode de fonctionnement, avec Cora c’est tout ou rien. L’amour passionné, torride, enivrant ou les conflits interminables, les noms d’oiseaux et la violence de mots que l’on ne pèse pas. Quittant l’entrée tu rejoins ta blonde dans la cuisine, l’observant un instant ranger l’un des services qu’elle affectionne tout particulièrement. Tu viens te caler près d’elle, laissant malencontreusement glisser l’une des soucoupes qui attendait sagement d’être rangé comme toutes les autres. Bran, tu l’as fait exprès ! Soupirant profondément, un sourire étirant tes lèvres, tu viens encercler sa taille de tes bras, la forçant à se retourner. Ne me touche pas, tu m’énerves. Comme souvent ses mots sont en contradiction avec ses actes et docilement elle se laisse faire. Je t’en offrirai une autre demain. Tu comptes peut-être te rendre en Ecosse demain ? Piégé. Un bref instant tu fais mine de réfléchir mais ne trouvant rien à répliquer tu te contentes de venir poser ton front contre le sien. Pourquoi pas.
(…) Lysa était une fille, une sœur, elle… Les mots ne t’atteignent plus, tu les chasses et ils s’éloignent, désormais ils ne sont plus que des murmures. Les murmures de mensonges que parents et amis susurrent à l’attention d’une assemblée plus ou moins ému. D’aussi loin que tu te souviennes, tu as toujours détesté les enterrements, il t’apparaissait comme la répétition général d’une tragédie. Chacun s’ancrait dans son rôle : certains pleuraient le défunt, d’autres vantait les mérites de ce dernier tandis que les plus sincères se remarquaient à peine. Mais dans le fond la grande majorité se contentait de jouer la comédie. Et dans cette masse innommable beaucoup n’étaient présents que par obligation, dans l’unique but de suivre les bonnes mœurs. Ils t’écœuraient au plus haut point, mais ce qui te touchait davantage c’était d’imaginer la réaction de Lysa si elle avait pu les voir. A de nombreuses reprises elle t’avait parlé de son « enterrement », à l’image d’un mariage elle l’avait planifié et si autrefois tu en riais, aujourd’hui le gout qu’il te laissait était amer. Tu aurais tant aimé revenir en arrière et retenir ses souhaits dans les moindres détails. Tu aurais aimé la laisser partir comme elle le souhaitait et non pas lui imposer tout ce qu’elle détestait. Un bref instant tu fermes les yeux et un souvenir te revient. Tranchant, percutant. Et tout sera blanc, Sissi portera ma robe en dentelle et Clare celle que j’avais mise à son anniversaire. Et quand le prêtre aura terminé son discours on lâchera des papillons blancs. Arrête de rire Bran, c’est ce que je veux. Pour la peine tu t’occuperas du buffet, il y aura des hamburgers, des mini-pizzas et des bonbons. Des tas. Manger adoucis toutes les peines, tu sais ? Ta mâchoire se contracte, tu enserres davantage la main de Cora dans la tienne et un regard sur le portrait de Lysa trônant sur le cercueil suffit à ce que tu sentes ton cœur prêt à imploser. Et tout ton être.