But now I'm walking by myself, Out in the middle of nowhere

Sous la table, Neal allongea ses jambes, portant la bière jusqu'à ses lèvres pour en avaler une gorgée. La salle sentait le vieux tabac, depuis quelques temps il soupçonnait presque le patron de laisser traîner les cendriers sur le comptoir pour imprégner son bar d'une ambiance folk. Sur la scène, un gamin d'une vingtaine d'année se pencha vers son micro, murmurant un merci avant de faire glisser sa guitare contre sa hanche, s'échappant sous quelques applaudissements. Neal reposa sa bière sur sa table, le son du verre se perdant dans les voix qui s’élevèrent de nouveau, les conversations qui reprenaient maintenant que le gamin avait terminé de chanter, maintenant qu'ils retrouvaient tous l'anonymat en laissant l'estrade vide, le tabouret solitaire. Il se rappela de ses premiers pas ici, lui qui pensait si bien connaître les coins artistiques de Brooklyn. Jeune diplômé, plein de l'insouciance d'une jeunesse qui pensait tout savoir, Neal était aujourd'hui le premier à reconnaître qu'il se serait bien planté de ne pas plonger au cœur même de la ville. Lui ne voyait alors que par les grands noms ; ces auditions qui mâchent à la chaîne des jeunes chanteurs. Son ancien formateur avait indiqué en ricanant les veines et les nerfs de Brooklyn. Et ce vieux bar, inconnu des grands milieux, était de ces oasis dans lesquelles se trouvaient cachés les plus beaux trésors. Ce soir, c'était une de ces raretés qu'il était venu observer. Cet ange qui se dirigeait à présent vers la scène d'un air assuré, toisant l'assemblée comme si elle s'apprêtait à leur faire un immense cadeau en dévoilant le timbre de sa voix. Ses doigts fins encerclèrent le micro et, n'attendant pas que les voix se soient de nouveaux noyées dans les verres d'alcool, commença à chanter. Son cœur sembla s'arrêter, comme il le faisait à chaque fois qu'il croisait son regard, ou que le son de sa voix caressait ses tympans. Un sourire, alors, vint s'inviter sur ses lèvres quand quelques mètres devant lui elle commença à se déhancher, doucement, les yeux fermés. Elle leva ses bras dénudés au dessus de son visage, ses cheveux blonds dévalant en cascade le long de son dos. C'était pour elle, ce soir, qu'il était venu. Pour elle qu'il était venu tous les autres soirs. Sur la table, son portable vibra. Presque à contre-cœur il quitta des yeux sa nymphe pour les poser sur le blackberry. Le visage de Leary brille sur l'écran, une photo prise quelques mois auparavant, Leary pouffant pour il ne se souvenait plus vraiment quoi, un souvenir perdu parmi tant d'autres, capable de lui arracher un rire à chaque fois qu'elle l’appelait ou lui envoyait un message. Mais pas ce soir. Pas depuis quelques soirs, pas ici en tout cas. Leary ne s'invitait pas entre les murs de ce bars. Alors, rapidement, il bloqua l'appel avant les dernières notes de guitare.


« c'était qu'une petite pétasse parmi d'autres. » souffla Vince en s'affalant un peu plus sur sa chaise, vrillant un regard circulaire au jardin verdoyant qui s'étalait sous leurs yeux, s'arrêtant un instant sur ses deux garçons qui jouaient à s'envoyer un ballon ovale. Lizzie s'avança d'un pas léger, se posant sans cérémonie sur les genoux de son époux. En tendant une bière à son frère, elle fronça doucement les sourcils. « vous êtes encore en train de parler de ça ? » Vince laissa éclater un rire bref. « parce qu'on est passé de Andrea à ça ? » Lizzie ramena une de ses mèches brunes derrière son oreille, serrant doucement la mâchoire. « que c'est noble de ta part, toi qui l'appelais petite pétasse la seconde plus tôt. » Vince porta une main à son coeur, tordant son visage en une grimace feinte. Neal leva les yeux au ciel. « est-ce qu'on pourrait cesser de dépersonnifier, ou de trop personnifier mon aventure ?» Une moue oscillant entre la moquerie et la peine s'invita sur le visage de sa soeur qui avança une main vers la sienne.  « Neal, tu appelles vraiment ça une aventure ? » Lizzie ravala un gloussement devant le regard sombre de son frère. « et Leary, tu as pu la revoir ? » laissant entendre un léger soupir, le jeune homme secoua la visage en signe de dénégation, tenta de noyer ses regrets et ses erreurs dans une nouvelle gorgée de bière.