But now I'm walking by myself, Out in the middle of nowhere

La marmite sur la plaque électrique enfume toute la pièce et le parfum épicé de ce qui te servira de dîner vient piquer tes narines. Tu te lèves d'un bond de ton fauteuil en cuir et ton chien te vole immédiatement la place. Tu en as marre de lui répéter qu'il n'a rien à faire sur le canapé, alors tu abandonnes et tu le laisses chauffer la place. Rapidement, tu baisses l'intensité de ta cuisinière et passe une cuillère en bois dans l'étrange mixture bordeaux que tu préparais depuis très tôt. Tu t'étais levé de bonne heure pour mettre de l'ordre dans tes étrangères, choisir les bons sous-vêtements, te rendre au distributeur pour acheter les préservatifs adéquats, puis tu avais même commencé à lui préparer un repas, alors que tu savais pertinemment que tu n'étais bon qu'à brûler les omelettes. Tu t'étais surpassé sur ce coup-là, uniquement pour lui plaire. Mais qu'avait-il de si particulier, si ce n'est ce sourire naturellement enjôleur ? Tu ne sais clairement pas, mais tu sais qu'il arrive dans une demie-heure et que ce n'est toujours pas prêt. Tu décides d'y goûter, non sans grimacer rien qu'à l'odeur. C'est purement dégueulasse, tu jettes la cuillère dans l'évier et ton tablier sur le plan de travail. Tu soupires : il ne te reste que vingt-huit minutes pour lui préparer un repas digne de ce nom. Tu réfléchis si fort que c'est visible sur ton visage. Tu saisis alors le téléphone fixe, te rongeant les ongles. Bonjour ! C'est pour réserver une table pour deux, s'il vous plaît. déclares-tu alors au réceptionniste du restaurant chinois du coin. Il te répond avec un accent qui t'amuses, puis une fois la réservation faite, tu le remercies et raccroches.
Ça sonne. Merde, il est en avance. Tu te précipites vers la porte et ne fait que l'entrouvrir, faisant échapper toute la fumée. Il recule d'un pas et manque de s'étouffer. Pardon, c'est... tu ne peux pas lui dire que ça vient de ton machin raté. C'est la cheminée. Il a l'air sceptique. Oui, j'aime bien lire au coin du feu... Il laisse alors échapper un rire. C'est la canicule dehors, pourquoi t'irais lire au coin du feu ? Tu attrapes tes chaussures et balances tes pantoufles à l'autre bout de la pièce, sans le laisser voir à l'intérieur de ton appartement. On peut y aller ! Il reste sans mot dire, mais ses yeux, eux, expriment très clairement : aller où ? Au restaurant chinois ! Il rougit, tu ne sais pas trop pourquoi. Tu veux dire, là où je travaille ? Merde. T'es con. Définitivement.
Malgré tout, ce premier rendez-vous foireux, c'est l'une de tes plus belles expériences. Tu finis la soirée chez lui, finalement. Il a pensé à passer à la pharmacie, pour trouver de préservatifs d'une plus grande taille. Tu te dis que t'auras mal, mais ça te fais sourire comme un débile. Et puis, quand tu l'embrasses, t'oublies un peu le monde. Ses lèvres qui vagabondent sur ton corps et t'oublies la douleur. T'es plus seul, tu te dis et lui, il rougit. Tu aimes ses joues rouges. Tu l'aimes tout entier.
Tu l'aimes, avoue-le.

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Ton téléphone sonne au fond de ton sac aux motifs psychédéliques. Tu prends ton temps avant de répondre : c'est maman. Enfin, l'une d'elle, celle que t'as enregistré sous "maman2". Du coup, c'est pas vraiment ta mère, mais plutôt, la femme de ta mère. C'est une histoire relativement compliquée à expliquer. Ton père, lui, ne prend jamais de nouvelles. Tu crois bien qu'il s'est exilé à Bali, vu les photos qu'il poste sur les réseaux sociaux. Tu t'étires dans les draps d'un blanc immaculé qui ne t'appartiennent pas et tu le vois, une serviette autour de la taille et deux chocolats chauds en main, un sourire scotché au visage. Tu ne prends pas l'appel. T'as bien plus important à faire.

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Mamans, je peux vous parler deux minutes ? Alors que t'es en train d'engloutir la tarte aux pommes que ta sœur a préparé, ton autre sœur, la plus jeune, débarque timidement. Oui ma chérie ? répond alors ta mère - la 1, sur ton téléphone -. Ta sœur craque. Je suis enceinte maman. Tu essayes de t'échapper furtivement, mais on te retient par le col. S'en suit une longue discussion, rythmée par des pleurs, des cris, des câlins et des "je sais bien." Puis finalement, tes mères décident de réunir tout le monde autour de la table, pour que chacun dise ce qu'il a à dire et qu'il n'y ait plus de cachotteries, sans qu'il n'y ait de dispute. C'est donc tout naturellement que ton petit frère, qui a à peine quinze ans, avoue vendre ses médicaments, que ta petite sœur de seize ans dit à tout le monde qu'elle sait qu'elle attend un bébé depuis trois mois et que ton autre sœur de dix-sept ans sors une bague de fiançailles de sa poche. Quand vient tout tour, et après que tes mères se soient demandées ce qu'elle faisait de travers dans l'éducation de leurs enfants, il n'y a qu'un silence de moine. T'as bien une chose à dire, mais t'as pas vraiment envie. Puis finalement, ça passe tout seul. Moi, j'suis gay.